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roland schär

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vientiane, laos (february 2006 ), exhibition at t'shop laï gallery

 

SPHÈRES EN PHASES

ou

Comment faire des ronds avec des crayons carrés ?

Avant tout laissons nos regards en suspens...

Ils vont parcourir un étrange voyage, une échappée en douceur hors des sensations habituelles. Une sorte de flottaison au coeur des sens, du tactile et du visuel mêlés.

Dessins légers et subtils, appliqués sur la douceur même de la peau. Sensualité à fleur de papier, puisque ici peau et papier semblent correspondre.

Voyage aussi du regard qui suit les vagues de ce qui survient et ce qui se dérobe, de ce qui se cache et se révèle. Permanence et oscillation se donnent la réplique autour d'une des formes les plus absolues et des plus simples : la sphère.

' Forme essentielle, à la fois ultime et originelle de l'organisation de la matière, la sphère est le résultat des mélanges répétés des formes ; elle est grosse de toutes les autres, les contient potentiellement toutes .' (R. Schär)

Et tout un univers de silence s'installe progressivement en prenant possession de l'espace, en devenant aérien. Car les sphères ombrées peuvent prendre corps et volume, soudain, et elles se mettent alors à tourner sur elles-mêmes, s'engendrer, se recouvrir, se dérober, pour mieux apparaître ailleurs : dans notre sphère à nous, notre enfance, notre imaginaire, nos secrets bien enfouis.

Dessins de l'intériorité, semble-t-il, pourtant ils ont cheminé par bien des passages et des paysages.

Ils sont d'abord issus d'un support, d'une pellicule de végétaux malaxés puis séchés sur un tamis, au soleil, comme ces galettes de riz que l'on voit aux abords des temples. La pâte se contracte, rétrécit, durcit, puis les bords s'émoussent pour former une feuille blanche ou ocre ou bistre ou rose, des nuances subtiles nées du hasard des compositions végétales et des manipulations humaines. Au coeur de la trame, on voit encore les entrelacs de feuilles, des poussières d'herbe, le moindre souffle les ferait s'envoler si elles n'étaient saisies dans la lame fine de la surface étale, en transparence.

Le dessin part de là, de ces histoires de pâtes humides qui ont séché au soleil des routes, des haltes, des étapes, où l'artiste a pu trouver les papiers : Xieng Khuang, Vientiane, Luang Prabang, Hanoi,   ou bien encore ce village hmong où une vielle femme manipulait un immense cadre à sécher les fibres. Vue de loin, l'armature ressemblait à un vaste écran que l'on aurait pu confondre avec un piège à esprits. Son tamis était fait de ses vieilles jupes trop usées pour servir encore. Les tissus mis bout à bout ont formé un patchwork dont la trame s'est imprimée sur la pâte. De la jupe de la paysanne aux dessins des phases de la vie, tourne la roue de l'épaisseur du temps, de la durée même, comme figée dans une pellicule de fibres.

Les sphères disent leur émergence hasardeuse, leurs roulades et leurs flux parmi d'autres sphères, toujours prêtes à se rassembler, s'attirer ou faire semblant de disparaître. Rien n'est fixé, le hasard règne en maître et pourtant la poésie est profondément ancrée.

On est à la fois dans la permanence et dans l'aléatoire, le hasard du moment et l'éternité de la forme.

Ce qui semble accompli et figé n'est en fait que le résultat d'un lent processus de métamorphoses et de gravitations. Ce qui semble perdu peut renaître, ce qui paraît lointain peut se rapprocher en douceur, rien n'est figé, car tout est vanité, impermanence.

Un autre silence s'installe.

Au départ, un geste, celui de la main droite sur une feuille lisse sans le moindre souffle de vent.

« Je pars de l'ombre, de la courbe, d'un mouvement circulaire » (R.S.) Le mouvement part du bas de la feuille et contourne ou opacifie les obstacles minuscules et les imperfections du papier, il s'agit de l'apprivoiser de le préparer à recevoir les nuances de gris, d'ombres et de lumières. Le crayon est une mine de graphite de section carrée ! et c'est ainsi que l'on arrondit les sphères, selon une géométrie particulière qui passe d'arêtes carrées aux ronds les plus souples.

Quand la sphère prend corps, petit à petit, l'artiste s'y love, s'y retrouve et y dépose ses rêves, il s'y sent bien, mais déjà une autre forme paraît, née du désir de la première, quelques couleurs viennent parfois d'une lointaine galaxie et perturbent le champ.

Il faut s'éclipser maintenant, les choses importantes sont à voir et non à dire...

« La nuit quand le balancier de l'amour oscille

entre Toujours et Jamais,

ton mot heurte entre les lunes du coeur

et ton oeil bleu d'orage

donne le ciel à la terre. »

Paul Celan, Pavot et Mémoire , (C. Bourgois, p. 117)

Michèle-Baj Strobel, Vientiane, Novembre 2005